Bernard Roulet

Remontant le cours du Petit Morin, nous roulons lentement, Bernard et moi, sur une route sinueuse qui traverse, comme l’avait surnommé Pierre Mac Orlan,  le « Pays qui n’appartient à personne ». C’est une fin d’après-midi de Juin et nous nous sommes donnés rendez-vous à Rebais afin de gagner les Marais de St Gond où quelques jours auparavant, j’ai découvert un immense champ de coquelicots en bordure d’un étang. Bernard  me semble ravi de faire cette balade et de la possibilité de réaliser une gouache au milieu des champs. Il profite de ma proposition de l’accompagner – j’en suis très heureux! – car de lui-même, il ne serait pas allé si loin seul en fin de journée. Il peint surtout en milieu d’après-midi et n’a pas besoin de beaucoup s’éloigner de chez lui  pour trouver un sujet; souvent, quelques pas dans son jardin suffisent. Aujourd’hui, je lui offre un grand bol d’air parmi les vignes, les fleurs et les canards sauvages.

La traversée des villages ravive des souvenirs de dessins : à Bellot un moulin, à Villeneuve le Morin ou une vue de l’église à Verdelot. Je pense que Bernard est un grand dessinateur.

Il est heureux de revoir un territoire qu’il n’a plus guère le loisir de visiter. La douce chaleur de Juin envahit l’habitacle et nous approchons doucement des Marais.

A Villevenard, nous prenons une petite route à droite qui mène à un champ de colza défleuri, envahi de millions de têtes écarlates.

Bernard observe, silencieux. Un chemin de terre nous permet d’approcher.

A sa demande, je gare la voiture face au champ; à l’horizon, une rangée d’aulnes et de peupliers juste au-dessous du ciel.

Je quitte la place du conducteur. Il s’y installe, déplie sa palette sur le siège passager et son carton à dessin contre le volant, sur ses genoux. Il verse un peu d’eau dans un gobelet, fixe une feuille de Canson rouge sur le carton, regarde le paysage en plissant les yeux, humecte son pinceau, fait couler un peu de vert olive.

Il commence par peindre les arbres avec le vert et du bleu outremer. Puis l’horizon, le « fond » du champ, à nouveau les arbres, les tiges des coquelicots, les arbres encore, le sol au premier plan, les fleurs, les « mouvements » du champ, le ciel, les fleurs etc… il ne s’arrête pas, il peint régulièrement comme il respire. Il me dira un jour qu’il peint comme il croque dans une pomme. Cela semble naturel, facile, sans effort.

Il ne parle pas, moi non plus ; seul le souffle chaud du vent dans les tiges sèches de colza et le vrombissement sourd mais constant des abeilles butineuses. Parfois au loin, le bruit d’un moteur.

Cela fait un peu plus d’une heure que Bernard a commencé. Il termine l’horizon avec un reste de gris pâle, un zeste d’outremer et une liche de blanc.

Il sort de la voiture, jette un coup d’œil à sa peinture en prenant du recul. Allez, c’est fini. Il semble satisfait et de toutes les façons, il n’y a pratiquement plus de lumière. Il mettra peut-être une touche finale dans son atelier, comme souvent.

Il me demande de patienter quelques minutes avant de repartir et s’enfonce dans le champ rouge vermillon pour cueillir un bouquet de coquelicots et de bleuets pour Jeannine, sa femme.

 

Bernard Roulet m’a appris à regarder le ciel, les arbres, les paysages quels qu’ils soient. Il a participé avec chaleur et générosité à éduquer mon regard et j’en suis persuadé, celui de beaucoup d’autres personnes qui ont eu la chance de croiser son chemin.

 

J’ai appris son décès le lundi 20 mars,  jour du printemps.

 

Je ne sais si Bernard avait une idée bien précise de ce qu’il deviendrait le jour où il ne serait plus de ce Monde. J’espère de tout cœur, que sa place est désormais au beau milieu d’un de ces cieux magnifiques qu’il a si bien su représenter et qu’il nous laisse en témoignage d’une belle vie de peintre et d’humaniste.