La couleur des Meaux

Un travail m’a été proposé par la ville de Meaux. Sur une année.

Alors hier, samedi, je suis venu repérer les alentours de la Cité Episcopale dans les bourrasques et la pluie froide qui annoncent la Toussaint.

Fublaines et le panneau «  les grandes fermes », Nanteuil-sur-Marne avec un champ de maïs coupé, coincé entre deux zones pavillonnaires.

Un panneau de déviation tagué et « Meaux », entrée de la ville, panneau sur lequel débordent des branches aux feuilles couleur d’automne ; à quelques mètres, un feu tricolore et au loin, la descente vers la cathédrale où s’engouffre un flot ininterrompu de véhicules.

 

Dimanche. Première journée ensoleillée depuis une semaine. Le vent encore très doux épand sur tous les quartiers les effluves âcres des fumées de la sucrerie de Villenoy,  de la Grosse Pierre à l’Hôtel de ville, de Beauval à la Place Henry IV, nul Meldois ne peut ignorer que la campagne de betteraves a commencé.

Sur les bords de Marne, des peupliers mordorés, des saules gigantesques et au loin les silhouettes massives de deux immeubles de la Pierre Collinet. Le long des berges, des ados à casquette font la course en mobylettes en faisant des roues arrière. Au Cercle nautique, des bateaux sont mis à l’eau. Une péniche, le Gallion, débouche d’on ne sait où.

Il y a une bonne lumière sur l’eau et sur les toits. Allons-y.

Déjà une pellicule.

Je roule maintenant vers la Pierre Collinet avec comme objectif le jaune et le bleu des tours, avec les arbres autour. Un panneau municipal annonce de prochains travaux d’assainissement et je m’attarde sur un cadrage panneau-lampadaire-immeuble. Je dis bonjour à un gamin d’origine africaine, 5 ou 6 ans, qui passe, seul; il me rend mon salut avec un grand sourire en prime.

Un peu plus loin, la façade bleue d’une tour, ses antennes paraboliques et des arbres au pied.

Un enfant d’une dizaine d’années tente de dresser un berger allemand sur un vaste terrain vague de terre et de sable «  assis, couché, fais le mort, donne la patte, cours, va chercher… » Ils s’en sortent tous les deux plutôt bien. Ni les crissements de pneus d’une voiture, ni l’alarme d’une autre, ni tous les autres bruits de la ville ne peuvent les distraire.

La lumière de fin octobre intensifie les bleus.

Direction le canal de l’Ourcq. Je dépose la voiture où je peux et je cherche les reflets des troncs alignés et leur feuillage d’or. Plus une pincée de coureurs à pied, quelques cyclistes, des promeneurs de chiens, des familles en balade…

Un couple d’un certain âge revient de courses les bras distendus par d’énormes sacs plastiques. Je les suis des yeux. Ils quittent le chemin de halage, se dirigent vers des baraquements à travers champs tout en  longeant d’étonnantes constructions type Bunker, rouge sang et bleu de Prusse. Je décide de m’y rendre.

Après quelques minutes de marche, je découvre une douzaine de petits bâtiments en béton, visiblement à l’état d’abandon, pas finis, tout de traviole : bizarre et incongru.

Les peintures sont éclatantes, agressives même. Des mots, le POULP, et des écritures gothiques indéchiffrables. Pas âme qui vive. Je photographie les murs sur un fond de peupliers.

A terre, des canettes de bière, des bombes de peinture, des petits tas de cendres. Un lieu de rendez-vous assez étonnant au milieu des champs.

Retour à la voiture. Sur le pont, je croise un homme seul qui marche lentement, en survêtement du dimanche. Je le salue en souriant. Il détourne vers moi une tête fatiguée, semble surpris voire apeuré, n’ouvre pas la bouche et passe.

Je monte en voiture, pose l’appareil. Plus de pellicule.

La route longe le canal, le vent fait tourbillonner les feuilles à terre et je pense que si l’expo se fait un jour, son titre devrait être « la couleur des Meaux ». Ce serait pas mal.