Marché conclu

 

 

6 heures moins le quart, dimanche 11 mai 2003, Place du marché, Coulommiers (77).

Il fait très doux, pas un souffle de vent, je gare ma voiture facilement le long de l’ancienne halle aux fromages.

Au centre de la place, le lampadaire est allumé ; deux marchands de fruits et légumes déchargent leurs camions .Un horticulteur et un poissonnier font de même.

Là, 2 femmes préparent des lits de feuilles rousses et vertes ; l’homme décharge des caisses de polystyrène, toutes ficelées d’une lanière bleue comme la mer.

Les fruits et légumes attendent dans des cageots de bois strictement alignés en colonnes sur les pavés.

Des camions arrivent les uns après les autres.

Hommes et femmes parlent bas, encore dans le sommeil, certains fument, sifflotent. Des bruits de ferrailles qui s’entrechoquent, de cageots que l’on jette, de rolls qui roulent en cahotant, de moteurs ; déjà plusieurs immenses parasols sont dépliés.

D’une camionnette, un maraîcher solitaire dépose très méthodiquement ses cageots de salades, radis et tutti quanti, un arrosoir, une rallonge électrique et ce qui ressemble à une caisse à outils grand format .

6H30 : le lampadaire est éteint, le jour est là. Deux pigeons picorent entre les pavés, un vététiste traverse en zigzaguant parmi les étals, les tubes et les caisses.

6H45 : Le soleil se reflète dans une fenêtre du haut d’une façade et un toit est éclairé ; les bruits de ferraille s’intensifient ainsi que la hauteur des voix, le nombre de véhicules et de personnes. La camionnette du maraîcher solitaire quitte la place et deux hommes en tablier blanc crient, tout en déchargeant d’une remorque de lourdes caisses en plastique contenant des poissons dans de la glace.

Le maraîcher solitaire déroule la rallonge électrique puis part serrer les mains des autres marchands. Un homme moustachu attend en fumant près du laboratoire d’analyse en compagnie d’une jeune fille d’une vingtaine d’année ; ils sourient mais ne se parlent pas. Un gros camion arrive, manœuvre, une jeune femme rousse en descend, le camion manœuvre encore, il stoppe et la fille rousse ouvre la porte de derrière. Ils seront quatre à installer. Tout est à faire. A l’intérieur du camion, les choses paraissent minutieusement rangées, une petite moitié droite pour les cageots, le reste pour les tubulures, tréteaux, planches, parasols, cales, nappes, caisses, rolls, diables ….

Depuis un quart d’heure, un homme immobile tripote un téléphone portable sur le trottoir devant la SNVB.

La jeune fille d’environ 20 ans rejoint ses acolytes qu’elle avait dû quitter ; elle porte un plateau chargé de tasses de café. Une cinquième jeune fille arrive, fait la bise à tout le monde et se met à discuter avec la porteuse de café tout en remontant la fermeture éclair de son blouson. Pourtant, il fait vraiment doux.

Les façades du bas sont maintenant couvertes de lumière et 7 heures sonnent à l’église.

Le maraîcher solitaire entre dans un café avec un autre homme, abandonnant ses cageots, ses légumes et son étal à monter.

La place commence à se colorer petit à petit : rouge radis, fraise, tomate, orange carotte, crevette, vert salade, chou, artichaut, concombre, poireau, épinard, melon, blanc de glace, navet, chou – fleur, jaune pamplemousse, pomme de terre et les immenses taches des parasols, certains à rayures.

Le maraîcher est revenu et dispose une bâche noire sur ses planches avant d’y installer sa marchandise.

7h15 : Une femme en noir retire de l’argent au distributeur de la SNVB et un nouveau camion arrive ; il se déplace difficilement parmi les étals déjà en place.

Les poulets du boucher chevalin grillent joyeusement sur leurs broches depuis un certain temps, le boucher, lui, prépare sa vitrine tandis que le fromager a ouvert sa porte, rideau baissé.

Des non – marchands commencent à circuler.

Un homme mange un croissant en déambulant de droite à gauche et inversement près de sa camionnette : il regarde sa femme ( ? ) décharger des caisses de vêtements. Trois hommes jeunes au teint cuivré ouvrent des parasols près d’un marchand de fruits et légumes.

Personne ne semble faire attention à personne. Chacun pousse, tire, porte, déplace, installe, charge, décharge, roule, transporte, s’agite : peu de paroles, des bruits, quelques rires forts, une apparente savante maîtrise collective.

Une marchande de fruits et légumes trie consciencieusement des petits pois.

7h30 : Le poissonnier lève son rideau de fer et dévoile de grandes panières d’osier vides.

La nouvelle brasserie est fermée et on aperçoit à l’intérieur des chaises en plastique, empilées le long de la vitre.

8h : Des emplacements sont encore non occupés, des badauds traversent la place, on installe les balances et les caisses enregistreuses. Sur le trottoir devant la brasserie, un homme en polo vert passe un coup de balai ; il observe la file d’attente d’au moins dix mètres qui s’est déjà formée chez l’horticulteur vendeur de plants : longue queue d’hommes qui attendent.

Un premier client à lunettes, cabas au bras, achète des carottes. Une femme remue un tas de pulls et un jeune adolescent encore endormi passe parmi les stands, un sac de sport en bandoulière. Le tripier discute un moment avec le maraîcher solitaire qui vient d’être rejoint par un homme ni jeune ni vieux qui l’aide à terminer son installation. Le tripier repart, deux choux sous le bras.

Encore un arrivage de camionnettes. L’homme au polo et au balai converse avec le boucher et trois hommes en ciré jaune s’activent à la poissonnerie.

Un placier en tenue indique une direction à deux individus qui l’accompagnent.

Le moustachu du groupe des cinq de tout à l’heure casse les queues des asperges avant de les jeter en vrac dans une caisse tandis qu’à côté, une jeune fille sur un escabeau dispose les ardoises des prix sur une ficelle avec des pinces à linges.

De nouveaux parasols s’ouvrent. Le maraîcher qui n’est plus seul arrose ses salades, ses choux, ses épinards ; un couple de personnes âgées passe et le regarde faire.

Une Mercédes grise, impeccable, s’engage lentement sur la place et stoppe devant un mur de radis et de navets réunis. Un homme à l’allure très soignée, teint mat, costume d’été, cheveux gominés en descend, une cigarette à la main. Il inspecte lentement du regard ce qui l’entoure et disparaît, laissant sa voiture, portière entrouverte.

Quelques petites minutes plus tard, il réapparaît, portant une barrière qu’il dépose près de son véhicule. Il remonte dans celui – ci, effectue plusieurs manœuvres délicates et se gare dans la ruelle. Il ouvre le coffre arrière, en sort une grande bâche noire qu’il étale sur le sol ; il retourne à sa voiture et sort un tapis qu’il déroule et qu’il dépose sur la bâche.

Le placier repasse, toujours suivi des deux hommes.

8h30 : Les premiers clients du marché sont en majorité des personnes âgées. L’homme aux tapis est allé chercher une deuxième barrière et un maraîcher dubitatif le regarde en mangeant un sandwich. Plusieurs tapis de grande taille reposent maintenant sur les barrières et sur le sol bâché : c’était donc ça.

– 2 heures de marché passent –    

 10h30 : L’homme aux tapis est debout, immobile, plein soleil, pensif ou semblant l’être devant son parterre coloré que beaucoup ignorent en passant ; il y a toujours une longue file d’attente aux plants et des clients chez tous les fruits et légumes. La jeune fille aux cafés de 7 heures retraverse la place le plateau à la main.

Chez les marchands de fringues, ce sont essentiellement des femmes et des jeunes filles ; elles touchent les vêtements en faisant tourner les présentoirs ; quelques hommes patientent, un peu à l’écart, les sacs de courses à la main.

Une odeur de poisson peu ragoûtante m’envahit les narines.

11h : Les allées sont devenues familiales avec bien plus d’enfants, de chiens tenus en laisse, d’embouteillage de poussettes. La vie du marché bat son plein.

L’homme au tapis est toujours debout, immobile, placide, seul, bronzé, fumant.

Parmi les voix qui se mélangent, les tip – tip des caisses enregistreuses.

L’homme aux tapis à – 50 % s’est maintenant reculé ; il est accoudé sur le toit de sa voiture et téléphone sur son portable, distant et empreint d’une grande sériosité. Une dame d’un certain âge, cheveux gris enchignonnés, s’arrête. L’homme range le téléphone dans une poche de pantalon, se rapproche lentement et entame le processus de vente. La dame porte un panier d’osier d’où sortent  des feuilles vertes de poireaux. Ils discutent longuement et elle repart en souriant, sans tapis persan.

Midi : C’est l’heure de l’apéritif aux terrasses sous le soleil. Une femme rousse passe et repasse en vociférant, un portable à l’oreille dans une main et des sacs de victuailles dans l’autre. L’homme aux tapis parle avec un autre marchand ; il n’a toujours rien vendu.

Il y a toujours autant de monde dans les allées et toujours autant de femmes et de jeunes filles qui s’arrêtent pour tripoter les chemisiers, les jupes etc…

Un marchand crie : « 2 bottes de radis un cinquante !  », puis en suivant : « 2 salades un Euro ! ».

12h10 : Après être resté un court moment près de sa voiture à l’ombre, l’homme tapissé s’avance vers les barrières où séjournent une partie de ses tapis, en prend un, le roule avec lenteur et soin, ouvre la porte arrière gauche de sa Mercédes et le dépose précautionneusement sur le siège. Il recommence avec un autre.

Parmi le brouhaha des voix, le bruit des pas sur les pavés.

12h30 : L’agitation semble faiblir. Le fromager balaie son bout de trottoir, une jeune fille au nez percingué s’adresse avec véhémence à son portable et le marchand de tapis continue à les rouler et à les enfourner dans son Allemande ; le temps se grise un peu.

12h55 : Les bruits de ferraille se font plus nombreux, plus perceptibles. Des camions font leur entrée, ça sent la fin. Quelques clients retardataires qui ont eu du mal à se lever, les marchands qui remballent, sans empressement apparent.

Un coup de sifflet exécuté sûrement sans les doigts mais avec la bouche, un deuxième tout de suite après. Les fruits et légumes rencageottent. Dans une odeur d’essence et de cigarettes, les parasols sont refermés, les tréteaux pliés, les rolls remplis, les camions chargés, les cageots vides entassés.

1h10 : Plus aucun client, tout le monde remballe, s’agite, pose, porte, jette, transvase, ficelle, demande de l’aide, pousse un diable ou un roll, monte et descend des camions de plus en plus nombreux.

L’homme aux tapis à – 50% referme son coffre.

Quelques personnes farfouillent dans les amas de cageots. Un jeune homme vient demander au maraîcher solitaire s’il peut récupérer les salades qu’il a laissées par terre.

La place se vide.

13h45 : un camion SMICTOM de la région de COULOMMIERS se positionne près du lampadaire au centre de la place et deux hommes en vert fluo chargent dans la benne les tas de cageots abandonnés.

 

C’est maintenant l’heure du deuxième casse – croûte pour les bienheureux pigeons de la ville.