Neuf petits gorets

 

Je décide d’aller à Bois Jean, hameau de Vendières, afin de donner à un couple d’agriculteurs une photographie de leurs chevaux.

Bois Jean aujourd’hui, c’est deux fermes, des animaux, pas d’humains visibles mais du vent, un vrai vent d’Est, glacial. Les chevaux Ardennais sont dans le verger en compagnie de brebis, moutons, poules, oies, …

J’entre dans la cour. Le chien aboie en tirant sur sa chaîne et celle – ci s’enroule autour du piquet. Xavier, le petit garçon de cinq ans m’aperçoit, sourit jusqu’aux oreilles et même plus. Les joues barbouillées de je ne sais quoi dont un peu de confiture, les cheveux ébouriffés par les tourbillons des courants d’air, il approche, avec dans une main une balle de tennis et dans l’autre une pomme rouge tout juste croquée.

Le chien cesse d’aboyer.

Xavier me conduit jusqu’à sa mère et se rétame sur les pierres; il se relève comme si de rien n’était. Sa mère semble contente de me voir; elle prépare des crépinettes et ses mains sont blanches de farine. Pour me saluer, elle me tend l’avant-bras.

Du dehors, on entre directement dans cette cuisine qui doit aussi faire office de bureau. Un téléphone avec répondeur, un buffet, des papiers en vrac, des objets de toutes sortes, une bonne dizaine de chats qui se baladent sur les chaises et sur la table et un agneau très jeune. Sa mère-brebis refuse de l’allaiter, aussi ils le nourrissent avec du lait reconstitué à l’aide d’une tétine de veaux «  Mais ça marche quand même ! Quatre fois par jour. Des fois il vient réclamer la nuit, mais on ne se relève pas. ». L’agneau se promène dans la pièce comme un petit chien, comme les chats, comme un enfant à quatre pattes. Il s’approche de moi, pas du tout apeuré, me renifle, accepte mes caresses et en redemande. Nicolas, le deuxième garçon, un peu plus âgé que Xavier, me désigne du regard le seau au fond duquel pend la tétine à veau. Le jeune animal se précipite vers lui et se met à téter vigoureusement en remuant la queue. Il restait quelques gouttes de liquide.

Je demande à revoir les cochonnets de l’autre jour (je les avais photographiés à 2 jours de vie). En allant à la porcherie, la femme me dit que son mari a dû aller aux pissenlits, derrière le pré aux moutons. Elle envoie Nicolas le chercher. Il part en courant et je l’entends crier «  PAPA  » plusieurs fois. Il revient avec son père qui me sourit en me montrant sa cueillette au fond d‘un seau en plastique.

«  Ce matin, il a gelé à glace au moins cinq millimètres. »

Il ouvre la porte de la porcherie et neuf beaux petits gorets surgissent, croyant sûrement l’heure du repas arrivée. Ils ont déjà bien grossi et le fils les repousse à l’aide d’un bâton, le temps pour moi de les photographier à nouveau. Leur truie de mère, au fond de la petite pièce sombre, renifle bruyamment, manifestement inquiète et même sûrement pas très contente.

Deux canards passent tranquillement et le jeune Xavier déverse derrière eux un peu de grain ; sa mère le houspille et il détale rejoindre son frère qui s’amuse avec une vieille voiture à pédales dans un des rares coins ensoleillés de la cour.

L’homme et la femme me raccompagnent. Passant près d’un tas de paille, l’homme farfouille et en sort cinq petits œufs blancs d’une poule naine. Il me les offre.

Après les avoir salués, je m’éloigne en voiture. La route s’élève lentement jusqu’à Torailles.

A hauteur du petit bois, je m’arrête pour cueillir un bouquet de muguet bleu ( Hyacinthoide hispanica ) et je cherche à deviner, sans trop y croire, la forme, la trace, voire l’odeur d’une première morille.