Qui cultive son jardin se crée

 

Je ne fais pas partie de la grande tribu de lève-tôt des jardiniers, mais tout comme eux, dès l’aube, je suis attentif  à la lente transformation des éléments du paysage, à ces infimes détails qui indiquent qu’inexorablement la fin de l’hiver est proche.

 C’est le retour du chant des oiseaux au lever du jour, celui des agriculteurs dans les labours même le dimanche, le rougeoiement du feuillage des peupliers, une cavalcade effrénée des chevreuils sortant d’un bois pour grignoter les pousses vert printemps du blé en herbe, un premier barbecue tout proche, le bourdonnement d’un frelon dans ma cuisine et qui, pour en sortir se jette sempiternellement contre les vitres, le fond de l’air encore frais malgré un soleil formidable, l’annonce d’une prochaine grève à la SNCF ou à l’Education Nationale, les chercheurs de pissenlits dans les prés, les maux de gorge et les toussotements des enfants dans les classes, le bruit extrêmement pénible de la tondeuse du voisin, un soleil rouge et rond le soir vers 19 heures, le doux ronronnement de ma propre tondeuse, la forte propension de l’ensemble des médias à soudainement s’intéresser aux meilleurs moyens de perdre 10 kg en moins de 2 mois, les musaraignes ventre à terre dans les phares des voitures, les matches du Tournoi les samedis et dimanches après-midi, la remarque bienveillante d’une maman qui remet son blouson à son petit garçon qui râle, les hordes de cyclistes multicolores du dimanche matin dans la vallée du Petit Morin, les chatons jaune d’or des saules marsault, les Parisiens qui reviennent dans les hameaux et se pressent à midi au marché de Coulommiers, la fin des endives et l’arrivée attendue des fraises, les hérissons en triste paillasson sur le bitume, la feuille d’impôt dans la boîte à lettres, les derniers labours asséchés par les vents d’Est où les couples de perdreaux remplacent d’un coup les bandes de vanneaux, les jupes des filles qui raccourcissent, les premières brocantes dans le petit matin froid des week-end, les trottoirs de St Cyr à St Ouen maculés de pétales roses à la première averse, les vaches à nouveau dehors bottées de gadoue jusqu’au-dessus des genoux, la fin des perce-neige et l’arrivée des jonquilles dans les bois qui longent la D 222, les cannes à pêche sur le dos des gamins, les joueurs de tennis sur les courts extérieurs, l’idée de penser aux vacances d’été, les publicités toujours plus nombreuses pour les salons de jardin et vers 10 heures, l’ombre noire des tilleuls nus et de leurs moignons sur les murs de pierre des cimetières…

…et tout ça, sans encore l’ombre d’une hirondelle ni l’odeur âcre de l’épine noire.